Entretien avec Olushegun Tidjani Serpos, Directeur des Services Législatifs de l’Assemblée nationale : La 8ème législature est incontestablement l’une des plus prolifiques avec 117 lois au compteur | Assemblée Nationale du Bénin

Entretien avec Olushegun Tidjani Serpos, Directeur des Services Législatifs de l’Assemblée nationale : « La 8ème législature est incontestablement l’une des plus prolifiques avec 117 lois au compteur »


 

 

Encore quelques semaines et la 8e législature de l’Assemblée nationale du Bénin va se conjuguer au passé. Que de chemin parcouru ! Que d’obstacles surmontés ! Que d’efforts fournis avec beaucoup d’engouement, de détermination et surtout de courage sous le leadership du Président Louis Gbèhounou Vlavonou ! Pour ce qui est de la production législative, cette 8ème législature a battu les records. C’est du moins l’avis de Olushegun Tidjani Serpos, Directeur des Services Législatifs (DSL) de l’Assemblée nationale du Bénin. Les arguments qui soutiennent cette opinion sont développés dans l’entretien qu’il a bien voulu accorder à Télévision Hémicycle.

Télévision Hémicycle (TH) : Quel point global faites-vous de la production législative sous la 8ème mandature de l’Assemblée nationale du Bénin ?

Olushegun Tidjani Serpos (OTS) : A l’attention de ceux qui suivent ou qui ne suivent pas du tout l’actualité de l’Assemblée nationale, il est bon de rappeler ce que la 8ème législature de l’ère du renouveau démocratique a fait. Depuis mai 2019 où ils ont été installés, les députés de la 8ème législature de l’Assemblée nationale du Bénin ont voté en tout et pour tout 117 lois. 117 lois, c’est beaucoup de travail pour les députés parce qu’il faut prendre connaissance de chacun des textes, s’assurer en termes de convictions personnelles qu’ils sont en état de voter ce texte, faire les débats puis procéder à l’adoption du texte après que tout ceci aura été passé par le filtre de chaque commission. Donc c’est un travail de tous les instants. Et le Président Louis Gbèhounou Vlavonou n’a jamais manqué de remercier ses collègues députés pour le sens du devoir patriotique. Le 8 décembre dernier, le Président de la République lui-même est venu leur rendre un hommage en direct pour saluer leur engagement et la masse de travail à laquelle ils se sont consacrés pour le bien du peuple béninois.

TH : 117 lois votées en tout et pour tout. De 2019 à 2022 aujourd’hui, est-ce qu’on peut déjà dire que c’est une production record ?

OTS : La 8ème législature est incontestablement l’une des plus prolifiques et il faut appeler l’attention du public sur le fait qu’il y aurait eu certainement beaucoup plus de lois si la révision constitutionnelle intervenue en 2019 n’avait pas retiré du domaine de la loi l’autorisation de ratification des accords de crédits et conventions de financement. Parce que depuis le début de l’année 2020, il ne vient plus à l’Assemblée nationale des projets de lois portant autorisation de ratification des accords de prêts, des accords de crédits, que le gouvernement va contracter avec les bailleurs de fonds et autres partenaires techniques et financiers. S’il y avait eu en plus de toutes les lois votées celles qui sont relatives aux conventions de financement, nous serions à un nombre largement plus élevé.

TH : Au terme des lois phares votées par la 8ème législature se trouve la loi 2019-40 portant révision la loi No 9032 du 11 décembre 1990 relative à la Constitution de la République du Bénin. Quel est selon vous l’impact socioéconomique de la révision de cette loi ?

OTS : Aujourd’hui dans notre société, officiellement la femme bien qu’étant déjà depuis 1990 l’égal de l’homme, bénéficie d’un régime de discrimination positive. Cette expression me gène un peu mais c’est que la femme en raison de son statut de sous représentée au niveau, notamment de l’Assemblée nationale, a vu son statut s’améliorer puisque les députés jouant le rôle du Constituant béninois ont prescrit que dans la loi, la représentation des femmes au niveau des Assemblées pouvait faire l’objet de règle spécifique. Et c’est ce qui d’ailleurs a été mis en œuvre dans la foulée puisque la loi No 2019-43 du 15 novembre 2019 portant code électoral a prévu, entre autres choses, 24 sièges exclusivement réservés aux femmes au niveau de la prochaine législature de l’Assemblée nationale du Bénin qui va s’installer à partir du 12 février 2023 et pour toutes les autres législatures. Par ailleurs, au niveau de la compétition dite classique, il y aura 85 sièges à pourvoir. Et c’est encore ouvert aux femmes. Il y en a parmi elles d’ailleurs qui sont positionnées pour briguer ces sièges là en plus des 24 qui leur sont réservés par la loi.

TH : Au-delà de cette discrimination dite positive, qu’est-ce qu’il y a-t-il d’autres que nous pouvons faire ressortir en termes d’impact social et d’impact économique ?

OTS : Du point de vue social, la peine de mort qui était en sursis depuis longtemps est définitivement abolie. Aujourd’hui, nul ne peut plus être condamné à mort en République du Bénin. C’est une avancée extraordinaire qui a été saluée aussi bien au plan interne qu’au plan international par les observateurs de la vie sociale de notre pays. Nous avons également, du point de vue, pas immédiatement social, mais institutionnel une série d’innovations comme l’avènement tant attendu de la Cour des comptes qui a été détachée de la Cour suprême qui l’abritait en tant que Chambre des comptes et qui aujourd’hui est l’arbitre de l’État en ce qui concerne la gestion des ressources publiques. C’est cette Cour, au regard des textes qui la régissent, qui apprécie si les comptables publics ont procédé à une bonne gestion des fonds publics… Il y a la formalisation du Conseil national de sécurité et du Conseil national défense qui sont des centres de réflexion de l’Exécutif pour assurer une nouvelle gestion de la sécurité et de la défense dans notre pays. Ceci est d’ailleurs très important à souligner lorsqu’on se réfère à tout ce qui se passe dans la sous-région en matière de menaces terroristes.

TH : Au-delà de ces différents aspects de la nouvelle Constitution, est-ce qu’on peut confirmer que la Constitution du béninois telle que révisée reste unique ?

OTS : Il a été expressément mentionné dans la loi 2019-40 qu’il s’agissait d’une révision de la Constitution qui n’entraînait pas une nouvelle République et qui n’entraînait pas non plus la remise en cause des principes acquis depuis 1990, c’est-à-dire entre autres, la laïcité de l’État.

TH : Quelle est à l’heure où nous parlons la portée ou si vous voulez l’impact politique de cette révision constitutionnelle intervenue en 2019 ?

OTS : La première valeur ajoutée de cette révision au plan politique est incontestablement le courage des acteurs qui savaient que la loi dans sa version de 1990 comportait quelques insuffisances et qui ont réussi à la réviser enfin sans toucher aux fondamentaux de la loi. C’est vraiment un acquis. Et de là, chaque pouvoir a fait l’objet de retouche. Aujourd’hui, le pouvoir Exécutif a connu de profondes modifications. Le Président de la République n’est plus élu tout seul. Il est élu en duo avec un vice-président dont les modalités de choix et de remplacement ont été précisées dans le texte constitutionnel. Le Président de la Cour Constitutionnelle qui pouvait siéger en lui et place du Président de la République en cas de démission ou d’empêchement définitif de ce dernier ne peut plus. Quand le Président de la République ne peut plus siéger, c’est le vice-président de la République qui prend sa place et termine le mandat. En cas d’empêchement ou d’indisponibilité du vice-président de la République, c’est le Président de l’Assemblée nationale. Le 2ème pouvoir qui a été immédiatement affecté par la révision constitutionnelle c’est le Parlement. L’Assemblée nationale continue de voter les lois et de contrôler l’action du gouvernement. Mais l’Assemblée nationale a aujourd’hui une limitation du nombre de mandat que peut faire un député. La Cour Constitutionnelle est venue éclairer l’opinion et tous les acteurs politiques sur la compréhension qu’il fallait avoir de ces dispositions là puisque cette règle n’entre en vigueur qu’à compter, au plus tôt, de la 9e législature.

TH : Parlant justement de limitation de mandat, on sait que déjà dans la Constitution version 1990 le pouvoir présidentiel était déjà limité à deux mandatures. Mais là dans la loi 2019-40, cela a été consolidé. A l’article 42, on parle de ce que nul ne peut faire plus de deux mandats de sa vie. Quelle compréhension peut-on en avoir ?

OTS : C’est un gage, (je veux croire) de l’attachement des acteurs politiques à la limitation du nombre de mandat du Président de la République. Le consigner dans la Constitution fait force.
L’autre Notion qui intervient dans l’élection du Président de la République et qu’on doit à la révision constitutionnelle est le parrainage. Elle est un élément central qui a fait son apparition dans le texte constitutionnel en sa version de 2019. Les candidats aux postes de Président et de vice-président de la République sont parrainés par au moins 10% des élus au titre des députés et des maires. Nous avons 77 Communes. Actuellement, nous avons 83 députés. A partir de février 2023 nous aurons 109 députés. Pour le moment il faut ajouter 83 à 77, ce qui fait 169 x 10% qui correspond à, au moins 16 parrains pour valider la candidature au poste de Président de la République et de vice-président. Plus tard, ce sera les 10% de 77 maires et de 109 députés pour trouver le ratio du parrainage.

TH : En dehors de la révision constitutionnelle, beaucoup d’autres lois ont été adoptées par la 8ème législature. Quelles sont les autres lois qui retiennent l’attention aujourd’hui et qui ont distingué la législature selon vous ?

OTS : J’aime mieux l’expression distinguer la 8ème législature que lois phares et autres… (Sourire). Je ne suis pas certain qu’il existe une loi secondaire. Dès lors qu’un texte relève du domaine de la loi et que le législateur se penche là-dessus, c’est pour moi un texte important. Le législateur, avec tout ce qu’il a à faire ne s’amuserait pas à légiférer pour se faire juste plaisir. Mais comme vous le dites, il y a des lois qui appellent l’attention en raison de la sensibilité du domaine qu’elles régissent ou en raison de l’attente qui a précédé leur adoption. Dans le domaine politique, la Charte des partis politiques qui avait déjà été modifiée à la 7ème législature a été votée. Le statut de l’opposition a été voté. La loi portant financement public des partis politiques a été adoptée. Tout ceci de sorte que, outre la Constitution, nous avons aujourd’hui un cadre légal relativement riche qui permet d’organiser dans notre pays le Bénin et ceci sainement l’action politique. Nous avions évoqué le code électoral. Ces différents éléments sont prescrits comme relevant du domaine de la loi dans la Constitution elle-même.

TH : Lorsqu’on fait le bilan des productions législatives de la 8ème législature, est-ce qu’on peut dire que le vote de ces lois constitue des moments forts de la vie du Parlement béninois lorsqu’on sait que depuis des années les acteurs politiques avaient appelé sans grand succès à la réforme du système partisan au Bénin ?

OTS : C’est incontestable ! C’est tellement incontestable que cela ne souffre d’aucune discussion. J’avais dit tantôt que la première valeur ajoutée que je trouve à la révision de la Constitution c’est le courage politique qui a caractérisé la 8ème législature. Pour votre information, le texte n’était pas un texte gouvernemental. Lorsque l’initiative d’une loi relève du gouvernement, il s’agit d’un projet de loi. Mais lorsque le texte relève d’un député ou d’un groupe de députés, c’est une proposition de loi. Pour votre gouverne donc, c’est une proposition de loi, donc une émanation du Parlement qui a conduit à la révision de la Constitution du 11 décembre 1990. Il y a une autre série d’autres textes phares tels que ceux qui sont relatifs aux partis politiques qui ont été portés par des députés.

TH : Le 31 octobre 2019, les députés ont adopté la loi 2019-39 portant amnistie des faits criminels, délictuels et contraventionnels commis lors élections législatives d’avril 2019. Que peut-on retenir aujourd’hui en ce qui concerne l’adoption de cette loi ?

OTS : Déjà, on peut dire que le dialogue politique initié quelques semaines plus tôt a porté ses fruits. Ensuite, que le législateur béninois n’est pas dans la posture du tout répressif mais plutôt dans une posture d’équilibre, de balance entre ce qui doit impérativement rester sous l’emprise de l’autorité publique et ce que nous pouvons faire les uns et les autres pour que le pays prospère dans la paix et la sérénité. Cette loi d’amnistie était destinée à tourner la page, à apaiser les esprits et à exhorter tous les acteurs à une action salvatrice pour la démocratie béninoise. Je voudrais rappeler que dans son discours d’ouverture de la deuxième session ordinaire de l’année 2022, le Président Louis Gbèhounou Vlavonou a rappelé le contexte dans lequel la 8ème législature de l’Assemblée nationale du Bénin a été installée et les perspectives très pessimistes que de nombreux observateurs avaient déjà d’elle. Et pourtant, la moisson est aujourd’hui très bonne, la production est satisfaisante tant au titre de la qualité que de la quantité.

TH : Vous aviez cité tantôt des lois qui ont été adoptées et qui entrent dans le cadre d’une réforme institutionnelle. Vous avez en effet mis l’accent sur la création de la Cour des comptes. Après il a fallu adopter d’autres lois portant loi organique de cette Cour des comptes, la loi sur le statut des magistrats de cette Cour et ainsi de suite. Que peut-on retenir aujourd’hui dans le chapitre des lois qu’on peut traiter de lois qui ont fondé une réforme institutionnelle ?

OTS : La moisson est bonne ici aussi. Au-delà de la loi, je vais commencer par ce qui s’est fait à l’Assemblée nationale. Après la révision constitutionnelle, les députés se sont réunis pour procéder à la modification de leur règlement intérieur par la résolution No 2021-01 du 14 juillet 2020. Ils ont incorporé les innovations issues de la révision constitutionnelle de 2019 dans le texte réglementaire. Ceci est passé par le filtre de la Cour Constitutionnelle, laquelle l’a déclaré conforme à la Constitution. Ensuite, le fonctionnement des institutions de la République a été fortement affecté par cette révision. Lorsqu’on crée une Cour des comptes, il faut un cadre normatif pour assurer son fonctionnement. La loi organique sur la Cour des comptes a été votée. La loi portant statut des magistrats de la Cour des comptes est votée. Et la loi portant règles de procédure à suivre devant cette Cour a été également adoptée. La loi organique sur la Cour Constitutionnelle de 1991 a été complément relu et aujourd’hui, la Cour des comptes, après le vote de la loi No 2022-09 a une toute nouvelle charpente organique qui encadre le fonctionnement légal de la Cour des Comptes. Idem pour la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication. Quant à la Cour Suprême, les règles de procédure ont été relues, le statut des magistrats a été revu et même la loi portant organisation de cette haute juridiction a également été revue. C’est franchement une avancée.

TH : Que pouvez-vous nous dire au sujet des lois qui vont dans le sens du respect des droits humains, de la promotion du genre par exemple ? Ou bien il n’y en n’a pas eu ?

TH : OTS : Il y en a eu bien entendu. Vous constaterez qu’il y a une certaine intelligence dans le processus normatif qui a cours au niveau de la 8ème législature. Après les fondamentaux politiques, le législateur s’est penché sur les aspects tels l’économie (code pétrolier, code des investissements, code général des impôts…) et puis il y a eu le mieux-être des populations à travers une loi qui porte protection de la santé des personnes, les activités pharmaceutiques, le statut des boursiers de l’État… Il y a eu aussi le vote de la loi 2022-11 qui porte protection des personnes vulnérables, la loi qui modifie le code des personnes et de la famille, la loi qui modifie une loi de 2003 qui porte sur la santé sexuelle et reproductive et qui permet à la femme qui n’est pas en mesure de garder une grossesse, soit pour un motif sanitaire ou un motif économique ou social de s’en débarrasser, mais plus dans les mêmes conditions de fragilité sociale, de manque d’hygiène mais plutôt dans des conditions où elle est prise en charge dans un centre reconnu par équipe médicale bien formée.

TH : De façon globale, quelles autres lois vous paraît-il nécessaire de souligner dans cet entretien ?

OTS : Personnellement, j’ai été profondément touché par la loi sur le patrimoine culturel. C’est une loi qui permet de protéger le patrimoine béninois. Au moment du retour au Bénin des 26 œuvres fortement négociées auprès de la France qui les a rendues, il fallait un mécanisme pour accompagner la prise en charge de ces objets de valeur et préparer le retour au Bénin des autres biens. C’est cette loi qui a initié un mécanisme innovant qui est celui de l’auto-assurance des œuvres et biens patrimoniaux. Par cette loi, c’est l’État même qui assure au lieu de recourir à de l’expertise extérieure. Avec cette loi, l’État a posé les bases d’une conception muséale originale pour pouvoir attirer des touristes sur la base de la mise en œuvre effective de la protection du patrimoine. C’est l’une des lois qui m’ont marqué, aussi étrange que cela puisse paraître. A côté, il y a également la loi portant orientation agricole et protection sanitaire des aliments qui me tient à cœur parce qu’elle permet d’encadrer la production en matière agricole, en matière d’élevage et de pêche en République du Bénin et d’accompagner les différents acteurs.
L’un dans l’autre, la 8ème législature de l’Assemblée nationale du Bénin a apporté sa pierre au renforcement du système démocratique béninois et il est à souhaiter que les acquis se consolident au cours de la 9ème législature.

Propos transcrits par El-Hadj Affissou Anonrin


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